Puisque
« c’est le ridicule et la folie qui font rire », on peut
trouver au second larron un air du neveu de Rameau. Hybride
de Triboulet et d’Absalon, ce parfait ahuri a survécu à
Dieu sait quel bal des ardents. Lui seul fait preuve de
concentration. Son déguisement de coq n’en est que plus
réussi. Le couronne une espèce de scie circulaire dont les
dents auraient été couchées par une explosion. La bouche
entrouverte, les yeux écarquillés, cet impénétrable drille
a vu quelque chose. A sa place, qui chercherait à se rendre
utile ? Sur la figure ... on ne lit rien de bon. Entouré
de rayons, son visage est-il l’ostensoir ou bien le miroir
d’une horreur qui nous échappe ? Prenons encore l’homme
à droite du tableau. (...) On n’en trouve que bien peu à
s’être montré aussi cramoisi que lui. Si peu pudique, l’érythème
de son habit, que par antiphrase ce garçon personnifie l’absence
de honte ! Garçon est le mot. N’y entendre que le masculin
de garce est d’autant moins exagéré qu’il a souvent été
confondu avec Scapin. (...) Celui-ci porte, irrigué comme
nu placenta, un somptueux béret. Toujours imité par la haute
couture, vulgarisé sous le nom de faluche par les étudiants,
jamais égalé parce qu’y manque la touche du vaurien, l’objet
se doit d’être soigneusement posé. Donner la bonne inclination
à ce genre de couvre-chef n’est pas à la portée du premier
chasseur alpin venu. A la fin du XXè siècle, il n’est pas
plus de deux endroits au monde où l’on sache le faire. A
Sienne, quelques jours par an, quand toute la jeunesse prend
l’air spadassin. Et, bien sûr, dans certaine compagnie suisse,
qui garde qui vous savez. Que ces endroits ne soient pas
trop éloignés l’un de l’autre ne fait que le confirmer :
décidément les habits sont italiens. Et faits pour tout
sauf travailler. Sans la fronce en haut de sa manche, la
veste serait sérieuse. La costumière, qui connaît son métier,
sait que le théâtre tient parfois à quelques volants en
plus ou en moins. Sur le geste du bras est-il nécessaire
d’insister ? (...) Œil d’aveugle, sourcil fusain, barbe
bleue, patte non taillée qui commence un mouvement d’accroche-cœur,
accessoires que tout cela au service de la moue. La lèvre
supérieure, en soulevant à moitié la narine, prend cette
arrogance guimauve qui a fait le succès du premier Elvis
Presley.(...) Leur costume, leur type théâtral, même s’il
reste flou, l’embryon d’intrigue qui les fait se côtoyer,
leur passion prédominante, comme dirait l’autre, tout en
eux, par les moyens conjugués de l’humour et de l’effroi,
tout propose la botte au monde qui regarde.
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